Si vous êtes déjà venu au Bourgogne Tribal Show, vous y avez peut-être croisé Noémie, alors collaboratrice chez Gus Adler & Filles. Si, comme tout le monde chez Gus, Noémie aime l'art et le patrimoine, elle est aussi passionnée de pâtisserie. Noémie nous a souvent régalé de ses créations aussi belles que savoureuses, toutes délicieusement poétiques.
À l'automne dernier, elle décide d'aller au bout de cette passion et entame un CAP pâtisserie.
Voici notre entretien avec Noémie, entre tarte au citron et École du Louvre, Paris et Lorraine, patrimoine culturel et gastronomique.
Racines lorraines
J’ai grandi en Lorraine, dans la ferme de mes parents. La ferme se situe dans un petit village de 150 habitants, où tout le monde se connaît. J’ai donc évolué dans un milieu très rural, entourée par des champs et des forêts, au contact de toutes sortes d’animaux, notamment des veaux et des vaches (mon père est producteur laitier), des cochons, des poules, des chats et des chiens.
J’ai déménagé à Paris il y a quelques années pour mes études en lettres et en histoire de l’art, et j’y suis restée pour travailler dans le secteur culturel.
Art et patrimoine
J’ai un attachement au patrimoine et à l’histoire qui m’a été transmis par mes parents de manière naturelle. Pas de marathons-musées, de cours ou de stages d’art – comme ça a pu être le cas pour certains de mes camarades – mais une découverte par des visites régulières de notre environnement naturel, architectural et artistique. J’en suis donc venue à aimer ce patrimoine et donc à vouloir le protéger et le valoriser.
En Lorraine, la majeure partie des constructions a été détruite pendant la guerre de 1870, puis la Première et la Seconde Guerre mondiale. Le patrimoine bâti très ancien et intact est donc rare. Autour de chez moi, peu de monuments historiques : le château de Lunéville, l’ensemble architectural de la place Stanislas à Nancy. Déjà toute petite, j’ai appris que c’est tout ce qui avait survécu aux guerres, et qu’il fallait donc en prendre soin !
Le petit patrimoine et le patrimoine naturel tiennent une place importante dans ma vie. Vers chez moi, il y a ce qu’on appelle la roche des fées : une grosse roche dans la forêt d’où s’échappe de la vapeur, notamment le matin. La légende raconte que des fées vivent sous terre et y préparent leurs tartes, ce qui explique la fumée qui sort de la roche ! Au fil du temps, les locaux ont pris l’habitude de venir écrire leur nom sur cette roche très friable.
Après le lycée, j’ai entamé des études de lettres et sciences humaines en prépa (hypokhâgne et khâgne). Mais il me manquait quelque chose. Je pense que c’était le côté visuel, qui rend tout le reste plus concret. On m’a parlé de l’École du Louvre, j’ai tenté ma chance au concours sans vraiment y croire et ça a fonctionné !
J’ai ainsi commencé à davantage voyager en France et j’ai donc découvert d’autres patrimoines. Je garde un attachement particulier pour le bâti ancien, qu’il soit civil ou religieux.
Premiers souvenirs en pâtisserie
Mes souvenirs remontent à l’enfance. Il y a beaucoup d’hommes dans la pâtisserie et la cuisine mais moi, c’est grâce aux femmes que je suis entrée dans cet univers. Grâce à mes grands-mères et à ma mère. Je mangeais de la pâte à tarte crue sur la table de la cuisine de ma mamie, et j’avais même le droit d'utiliser des chutes pour mes « tartes ».
Mes premiers souvenirs sont des gâteaux simples, traditionnels, mais toujours faits maison, jamais achetés en pâtisserie : tartes aux fruits, glaces et yaourts avec les produits de la ferme, gâteaux renversés à l’ananas, flans au caramel, choux à la crème vanille, les fameuses madeleines de ma grand-mère et l’ingrédient secret que nous avons fini par découvrir, des années plus tard : la bergamote !
Cuisine locale et de saison
Pour moi, les produits constituent la base de ce qu’on cuisine. On peut évidemment les gâcher en en faisant n’importe quoi, mais on aura beau avoir une technique parfaite, si on n’a pas les bons ingrédients, ça ne donnera rien.
En grandissant dans une ferme, j’ai toujours été habituée aux bons produits et au fait maison. Le mouvement actuel autour du développement durable, de la consommation de proximité, d’une meilleure qualité des produits et une plus juste rémunération des producteurs compte beaucoup dans ma réflexion.
Je trouve complètement absurde de proposer les mêmes gâteaux tout au long de l’année, sans se questionner sur la saisonnalité des produits. Une bûche de Noël à la framboise par exemple, quel intérêt ? Les fruits ne sont pas beaux, ils arrivent du bout du monde, ils coûtent chers (et augmentent donc le prix de vente) et n'ont pas de goût parce qu’ils ne sont pas de saison ou ne sont pas cueillis à maturité.
Le problème c’est que c’est un phénomène extrêmement développé aujourd’hui. Les clients vont dans une pâtisserie et sont habitués à trouver un fraisier en été comme en hiver. Il faudrait retravailler les recettes, et faire de la pédagogie auprès des consommateurs, et ça va prendre du temps.
Quand je cuisine, j’utilise au maximum des produits frais et de saison, en privilégiant ceux de la ferme de mes parents (lait, œufs, miel, fruits, herbes, fleurs) ou au moins d’origine française.
J’ai aussi toujours aimé utiliser des fleurs et herbes aromatiques dans mes préparations, que ce soit dans leur composition ou leur décoration. Bien que les fleurs soient difficiles à utiliser car elles fanent vite, je trouve leur utilisation très intéressante sur le plan esthétique, et j’aimerais la développer. Pétales de rose ou de souci, fleurs de lavande, de camomille, de tomates ou fleurs de bourrache : il y a beaucoup de choix. Mais toutes ne sont pas comestibles, comme pour les champignons il faut donc bien se renseigner avant !
L’aspect esthétique d’un gâteau est extrêmement important : il faut que ce soit beau et bon ! J’aime que ce soit simple et pas trop chargé. Je fouille sur instagram pour picorer des idées, et je fais selon mon envie du moment aussi.
Alignement des planètes
J’ai passé le premier confinement de mars 2020 à la ferme de mes parents, ce qui a clairement modifié mon mode de vie. De retour à Paris, j’ai ressenti un besoin de changement pour revenir à ce qui me plaît vraiment. En quelques mois, j’ai mené une réflexion sur mes projets de vie et je me suis imaginée commencer une formation à l’automne 2021. Si j’avais dû attendre encore une année comme je l’imaginais, je pense que je ne l'aurais jamais fait. Mais j’ai reçu un appel d’une école de pâtisserie : une place se libérait pour l’automne 2020. J’ai pris ça comme un signe, et – en bon bélier – j’ai foncé !
Envies pâtisserie
Pour concilier mes deux passions, la pâtisserie et l’art, je crois que l'idéal serait d’ouvrir une pâtisserie-librairie-brocante-galerie, le tout dans un monument historique !
Mais c’est un rêve plus qu’un projet.
First things first : décrocher le CAP !
Par la suite, j’aimerais beaucoup pouvoir travailler avec les produits de la ferme et ceux d’amis producteurs, meuniers, etc. Un de mes objectifs serait de faire des glaces avec le lait de la ferme, mais aussi des confitures. Pourtant, je ne l’envisage pas à court terme. La situation économique actuelle n’est malheureusement pas favorable à une installation…
Dans l’attente, je n’exclue pas un retour au secteur culturel tout en proposant une confection de gâteaux à la commande, par exemple. Pyramides de macarons, buffets de gâteaux pour des célébrations d’unions, mignardises pour des garden parties, pouvoir s'adapter aux envies des gens tout en proposant du local et de saison.
Depuis quelque temps, je publie mes gâteaux sur mon compte instagram, qui me permet aussi d'interagir avec des comptes de pâtisserie.
Personne qui t’inspire
Une de mes amies qui est devenue fleuriste après avoir passé son CAP alors qu’elle travaillait pour une caisse de retraite. De façon générale, celles et ceux qui osent prendre de nouveaux chemins, changer de vie.
Personnalité favorite dans le monde de la pâtisserie
On parle encore assez peu de cheffes, et c’est dommage. Je citerais donc Claire Heitzler et Nina Metayer, qui travaillent sur la saisonnalité, en utilisant beaucoup de fruits, et qui réalisent une pâtisserie moderne, simple, épurée qui met en avant le produit.
Devise en cuisine
Pour l’instant « travailler, travailler, travailler » pour réussir le CAP. Plus qu’une devise, je pense qu’il est important de faire partager ses valeurs à travers ses créations.
Odeur de ton enfance
Le foin.
Dessert préféré
Difficile à dire ! Celui que je préfère manger : la tarte au citron, une valeur sûre ! Le parfait équilibre entre sucre et acidité et un mélange de textures. Celui que je préfère préparer : la tarte aux fruits, en travaillant son aspect et la création d’associations visuelles et gustatives.
Dessert qui évoque l’été
La pavlova (meringue crème fouettée et fruits) aux fruits d’été, dessert léger et frais.
Dessert par temps de pluie
Un gâteau réconfortant, du genre babka (brioche marbrée) au praliné chocolat.
Dessert de Noël
Le mont-blanc (meringue, crème montée, crème de marron, marrons glacés) ou une bûche glacée chocolat, pralinée aussi, on reste dans le classique.
Association de saveurs tue-l’amour
Celle que je déteste, c’est menthe-chocolat. Pour associer les saveurs, c’est un peu comme pour les vêtements, je trouve qu’au-delà de trois couleurs, il faut faire attention.
Anecdote en laboratoire ?
Je n’ai pas assez d’expérience en labo pour avoir de folles anecdotes. Ce qui est certain, c’est que c’est un monde brutal, malgré l'image de douceur que peut renvoyer la pâtisserie. J’ai déjà entendu des remarques du type : « Des chefs gentils, il y en a, mais combien qui réussissent ? »
C'est aussi un monde franchement misogyne, ce qu’on commence à réaliser grâce au mouvement #metoo, qui a permis de libérer la parole des femmes de la profession.
Astuce qui sauve tout
Avant qu’il ne soit trop tard : « Bien lire la recette ! » (comme dirait Mercotte) et la respecter à la lettre – les temps de cuisson, les températures, les pesées …
Quand il est déjà trop tard : essayer de rattraper comme on peut. Par exemple, un coup de mixeur plongeant sauve une crème anglaise trop cuite ou une ganache qui fait des grains.
Adresse gourmande à Paris
La rue Montorgueil en général et la boutique Fou de pâtisserie qui regroupe les incontournables des pâtissiers du moment.