J’ai écrit récemment un article sur la philanthropie des femmes, et j’ai été heureuse – un peu émue aussi – de voir que cet article a su intéresser, toucher, et mobiliser de nombreux lecteurs, qui n’étaient pas uniquement des lectrices.
Cet article est le fruit de ce que j’ai vécu en tant que chercheuse et femme dans un monde très féminin. Car si le monde de la philanthropie est en effet peuplé de femmes, qui font un travail de l’ombre, invisible, profond, mais indispensable, ce sont majoritairement les hommes qui apparaissent sur le devant de la scène.
Cet article était donc né de l’envie de dépasser certains discours convenus, d’offrir une perspective légèrement différente et de montrer combien il était important, en particulier pour un sujet aussi complexe, de dépasser les apparences, d’observer depuis les coulisses, de déconstruire et approfondir, de se défaire de la tentation essentialiste, douter et échanger. Le rôle du chercheur en sciences sociales est de plonger dans un univers social pour en analyser les fonctionnements, les logiques, les mécanismes, donner à voir et à comprendre. Porter attention au moindre détail, au choix des mots ou à l’intonation, au langage non verbal, aux non-dits – tout ce qui est invisible ou insignifiant aux yeux de la plupart des gens.
J’ai rencontré beaucoup de femmes tout au long de mes enquêtes. Femmes philanthropes, femmes bénévoles, femmes professionnelles de mécénat, jeunes stagiaires. Toutes m’ont apporté une perspective intéressante – et unique – sur la philanthropie des femmes.
Je me souviens de ces nombreuses journées que j’ai pu partager avec ces professionnelles du mécénat. Des heures infinies passées à faire des tâches ingrates ou ennuyeuses – mettre des feuilles dans des enveloppes, écrire des noms sur des cartons à la main, coller des timbres, compter des flyers. Mais aussi, autre versant de la médaille, parler philosophie, stratégie ou avenir de la philanthropie. Je me souviens de tous ces moments intimes que j’ai eu la chance de vivre avec les philanthropes qui ont eu la gentillesse de me recevoir pour des entretiens, et qui se sont prêtées à l’exercice bien au-delà de mon espérance, don précieux pour la chercheuse que je suis. Pas de formalisme ni de distance la plupart du temps : une grande générosité, une sincérité touchante et une volonté d’aider qui m’a émue.
Dans un monde souvent considéré comme impitoyable, de nombreuses femmes m’ont prise sous leur aile, accompagnée, guidée. Elles m’ont conviée à de nombreux événements, comme si j’étais l’une d’entre elles – des dîners, des concerts, des visites de collection, des levées de fonds. Ce que ces femmes m’ont offert va bien au-delà d’une relation professionnelle. Des amitiés, des histoires intimes, des confidences, des introspections, des larmes même parfois, qui ont donné à mon terrain une richesse et une saveur particulières.
J’ai, en outre, beaucoup appris de la pression exercée sur ces femmes, pourtant au sommet de la hiérarchie sociale. De la souffrance au travail, des maris absents, d’une compétition sans merci, des relations de pouvoir, d’une perte de sens, d’une forme de solitude parfois aussi. La vie est rarement facile en terre féminine, même pour celles qui semblent tout avoir.
Mais ces rencontres m’ont également donné beaucoup d’espoir. Quand je vois l’énergie, le dynamisme, l’envie de se dépasser de toutes les femmes en philanthropie, je reste saisie par leur désir constant de participer aux transformations sociales actuelles, de dépasser les schémas anciens, de se battre pour plus de justice sociale et d’égalité, de transcender les divisions et de contribuer à changer la société pour en faire un monde meilleur. C’est l’une des grandes leçons que je retiens de ce voyage dans un monde qui m’était jusqu’alors inconnu.
Lire l'article d'Anne Monier pour The Conversation (22 mars 2021)
Anne Monier est docteure en sciences sociales, chercheuse à la Chaire Philanthropie de l'ESSEC, spécialiste de la philanthropie, de la sociologie du transnational et des politiques culturelles.